Edito de la lettre du 29 mai 2020

L’attente était forte et chacun espérait l’annonce d’un retour à la normale. On le savait, la liberté ne serait pas totale, mais boire un café en terrasse ou dîner au restaurant serait emblématique. C’est une bonne nouvelle, annoncée par le Premier ministre, nous allons pouvoir le faire à nouveau dès le 2 juin, presque partout en France. C’est renouer avec nos habitudes, notre art de vivre tellement français. Progressivement, l’étau se desserre et la vie reprend. Pour autant, la prudence demeure et nous devons continuer à être vigilants et respecter les consignes gouvernementales. C’est ainsi que nous aurons le plus de chances de retrouver la légèreté de l’été pour repartir dans les meilleures dispositions… afin d’affronter une autre crise : celle de l’économie. Nous ferons face comme le peuple Français l’a toujours fait, et nous pourrons nous féliciter encore une fois d’être citoyens d’une Nation aussi protectrice. Si la dépression paraît inéluctable, souhaitons que les différents plans et mécanismes mis en place par l’État et l’Europe permettent d’en atténuer les effets.

Mais c’est une autre espérance que je veux évoquer aujourd’hui. Celle relevée par le président de la République lui-même, et l’un des enseignements de la crise du COVID 19 : la volonté de changement.

On connaissait l’éruption violente des gilets jaunes, la colère des agriculteurs, celle des personnels hospitaliers et de multiples autres catégories professionnelles, mais un phénomène nouveau s’est immiscé, doucement, sans fureur ni colère. Cette épidémie, devenue en peu de mois pandémie à cause des possibilités de déplacements faciles et rapides sur notre planète, a été le révélateur de nombreuses défaillances de notre système mondialisé.

Pourtant, celui-ci nous a permis de passer en quelques décennies de l’opératrice des PTT au téléphone mobile, des logements vétustes au confort de nos maisons, des ventouses aux thérapies géniques. Mais il s’est altéré et finalement usé jusqu’au rejet. C’est un lieu commun, car tout le monde le sait et le dit depuis déjà plusieurs années, sans que finalement rien ne change. Alors que le travail s’humanisait et que la pénibilité régressait avec la désindustrialisation, les relations sociales se déshumanisaient ; alors que les médias se multipliaient, nos concitoyens se désinformaient ; alors que la durée de l’enseignement s’allongeait, le savoir encyclopédique régressait ; tels sont les paradoxes de cette société. Les inégalités sociales et territoriales se sont amplifiées, le niveau d’éducation ou de compétence n’a plus été le jalon de la réussite, même le travail n’a plus été forcément le remède à la pauvreté. L’argent, comme le rappelait avec une étonnante modernité Péguy il y a plus d’un siècle, a régné pour supplanter toutes les valeurs, y compris celles du travail et du mérite, sur lesquelles s’était construite notre société. Pour reprendre la formule à la mode, cette société a engendré, certes, les premiers de cordée et les premiers de corvée, mais également un grand nombre de laissés-pour-compte.

Alors que nous avons sans doute atteint un niveau de vie inégalé dans l’histoire de l’humanité, nous aspirons collectivement à autre chose. Plus de moyens pour certains qui se sentent abandonnés, plus de justice sociale et d’humanité, davantage de fraternité pour d’autres, plus de douceur pour tous, cette douceur dont Marc Aurèle disait qu’« elle est invincible si elle est véritable ». Le confinement a favorisé l’expression de nombreux scénarios sur l’évolution de ce monde devenu anxiogène. Je me garderai aujourd’hui de prendre parti pour une vision ou une autre. Pourtant, ma conviction est que la principale ressource est sans doute en nous.

En cette année où seront célébrés le 80^e anniversaire de l’appel du 18 juin, le 50^e anniversaire de la mort et le 130^e de la naissance du général de Gaulle, je ne crois pas à l’homme providentiel. La puissance médiatique est aujourd’hui trop importante pour permettre à un seul homme, quelle que soit sa qualité, de porter l’avenir d’un peuple. Les réseaux sociaux, repris par les médias, démultiplient  nos voix et offrent les mêmes possibilités d’expression à tous. Même à ceux, nombreux, qui n’ont rien à dire, mais qui ont une opinion sur tout. Comme sur une route où l’on s’adapte à la vitesse de celui qui précède, chacun , par son comportement, par les idées qu’il porte, doit donner l’exemple et indiquer la boussole de notre République. Les principes de celle-ci  fondent nos relations, ses valeurs lumineuses sont plus actuelles que jamais, elles doivent nous éclairer. Tous, individuellement, pour tous les autres. Sur de telles bases, celles d’une civilisation sur laquelle nous avons prospéré et qui restent saines, tant de choses sont à reconstruire. C’est une exigence de revivification, un nouveau récit à imaginer, et ce sera passionnant…