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Édito de la lettre électronique du 21 octobre 2024

Un budget de responsabilité ?

À la lecture des textes législatifs en préparation, on peut constater que la rentrée parlementaire est bien réelle. Évidemment, le projet de loi qui occulte tous les autres concerne le budget. Les annonces de Michel Barnier créent une vague de mécontentements fort prévisibles car les économies donnent toujours lieu à un consensus : lorsqu’on n’en fait pas, on en réclame, lorsqu’on en fait, plus personne n’en veut. C’est le mal français !

Pourtant, en cette fin d’année 2024, ces économies sont nécessaires. Elles sont même vitales pour notre pays. Indéniablement Michel Barnier est courageux. Un courage que n’ont pas eu ses prédécesseurs dont les critiques paraissent aujourd’hui indignes. Plus révoltants encore les mensonges, dans les mois qui ont précédé les élections européennes, de l’ex-ministre de l’économie, Bruno Le Maire, sur la réalité du déficit public. Je ne trouve pas de mots assez durs pour qualifier une telle tromperie doublée d’une autre sur la responsabilité des collectivités locales dans le déficit public.

Reprenons les différents éléments :

La Cour des comptes a publié le 2 octobre dernier le second fascicule de son rapport annuel sur les finances publiques locales. Dans celui-ci, la Cour souligne que le déficit global des collectivités va fortement s’accroître en 2024. D’un côté, les recettes de TVA progressent moins que prévu et celles tirées des taxes sur les transactions immobilières connaissent une chute sévère. De l’autre, les dépenses augmentent. Sur les 8 premiers mois de l’année, celles de fonctionnement ont cru de 5,4% en raison à la fois de la hausse des rémunérations et de l’inflation.

Deux bémols peuvent être opposés à ces constats. Le premier est que sur ces dépenses de fonctionnement, une part importante résulte de facteurs qui ne sont pas à la main des collectivités, comme les revalorisations des points d’indice de la fonction publique à l’été 2023. Le second est que si les collectivités représentent 20% des dépenses publiques, elles ne pèsent en 2023 que 7% du montant total de la dette, par ailleurs une dette qui concerne l’investissement et non le fonctionnement, soit environ 200 milliards sur les 3 200 milliards de la dette nationale. De fait, il est parfaitement injuste de faire porter le chapeau de la mauvaise gestion de la dépense publique aux élus locaux.

En outre, il convient de rappeler que le déficit public est la conséquence d’un ensemble de facteurs. D’abord, une tendance dispendieuse toute française et ancienne : l’État providence. Ensuite, les crises successives – sanitaire, énergétique, inflationniste – qui ont entraîné une hausse des dépenses. De la gestion de la pandémie à la crise russo-ukrainienne, le gouvernement a mis en place des plans d’aides massifs pour soutenir les entreprises, les ménages, et maintenir à flot des pans entiers de l’économie. La pression sur les finances publiques qui en a découlé est largement due à ces décisions centrales, justifiées ou non, qui relèvent de la seule responsabilité directe de l’État.

Face à une situation budgétaire catastrophique, entachée d’insincérité et de mensonges, le nouveau Premier ministre, Michel Barnier, a sonné la fin du « en même temps ». Le déficit 2024, estimé dorénavant par Bercy à 6,1%, est bien au-delà de la limite des 3% fixée par l’Union européenne, imposant désormais  » un effort exceptionnel ». Le gouvernement français doit donc trouver 60 milliards d’euros d’économies pour ramener le déficit à 5% du PIB en 2025. L’effort demandé sera collectif et réparti selon un principe de deux tiers / un tiers : ce sont en tout 40 milliards d’économies et 20 milliards de recettes supplémentaires qui sont attendues. Les restrictions budgétaires concernent autant l’État et les ministères (21,5 milliards) que les collectivités territoriales (5 milliards) et les administrations de sécurité sociale (14,8 milliards).

En dernière analyse, elles toucheront évidemment les Français qui sont les premières victimes de la consternante gestion des gouvernements précédents.

Au-delà des principales mesures largement commentées dans les médias, il est à noter que, s’agissant des collectivités territoriales, les dispositifs de ce plan de 5 milliards consistent en :

• la création d’un « fonds de précaution » à hauteur de 3 milliards, alimenté par les 450 plus grosses collectivités ;

• le gel de l’évolution annuelle des recettes de TVA qui ferait perdre 1,2 milliard d’euros aux collectivités et l’amputation (de 16,4% en 2024 à 14,8% en 2025) du fonds de compensation de la TVA (FCTVA) à hauteur totale de 800 millions d’euros.

On peut ajouter, hors les 5 milliards, une baisse drastique du Fonds vert (passage de 2,5 à 1 milliard) et une augmentation de plus d’1 milliard des cotisations CNRACL.

Du côté des dotations : DGF, DETR, DSIL, DSID et DPV resteront au même niveau qu’en 2024.

Ces 5 milliards d’économies montrent toute la dépendance financière des collectivités vis-à-vis de l’État, et plaident une fois de plus pour une plus grande décentralisation et une réelle autonomie financière. Ce sont les réformes de fond que nous attendons.

Au chapitre des bonnes nouvelles, on retiendra deux engagements annoncés : l’un concernant une évolution de la réglementation du ZAN (Zéro Artificialisation Nette) et l’autre un assouplissement des réglementations relatives à la gestion de l’eau et de l’assainissement, sans toutefois de véhicule législatif pour le moment.

Soulignons, pour terminer, que la ponction de 60 milliards d’euros est un effort « par rapport au tendanciel » et non pas en montant absolu. Ainsi, en dépit des 40 milliards d’euros d’économie déclarés, les dépenses nettes de l’État augmentent de 6 milliards dans le PLF. Dans la même perspective, les recettes n’augmentent que de 7 milliards, malgré les 20 prévus. Au total, le déficit ne se réduit que de 5 milliards d’euros, passant de 147 à 142 milliards. La France dont le budget annuel est légèrement inférieur à 500 milliards d’euros va battre un triste record en 2025 en dépassant les 300 milliards d’euros d’emprunts.

Malgré les économies annoncées dans le budget, qui sera adopté à coup sûr au titre de l’article 49.3, nous nous dirigeons vers le chiffre vertigineux de 3 500 milliards d’euros représentant la dette de la France à la fin 2025.

Dans une tribune cosignée avec Pauline Martin, nous estimons que l’effort demandé est compréhensible, nécessaire, au vu des réalités financières, mais qu’il doit s’accompagner de contreparties concrètes. Il est urgent de clarifier définitivement, pour les communes, les engagements – comme le ZAN et la gestion de l’eau et de l’assainissement qui rendent la tâche des élus locaux de plus en plus complexe.

Le gouvernement doit, de façon urgente, ouvrir un dialogue afin de définir où placer le curseur de l’effort sans mettre à mal les plus fragiles des collectivités, notamment départements et communes rurales dont les marges de manœuvre sont inexistantes. Ce sera aussi le travail du parlement, et tout particulièrement du Sénat, dans les semaines qui viennent.

 

Hugues Saury, sénateur du Loiret

Le 21 octobre 2024