Chapitre 4 – Pénuries
Cela fait déjà plus d’un mois que l’épidémie se développe dans notre pays et plus de deux semaines que le Président de la république a proclamé l’état de guerre sanitaire contre le Coronavirus. À l’heure où j’écris ces lignes, près de 26 246 personnes sont hospitalisées et malheureusement, déjà 4 503 décès ont été constatés en France.
Sans jouer l’épidémiologiste de cafétéria, je constate que les pays où se sont tenus de grands rassemblements, tels la France ou l’Espagne, connaissent une flambée du nombre de personnes atteintes. En parallèle, ceux qui ont été en capacité de doter rapidement leur population en masques et d’effectuer des tests en masse, telle la Corée du Sud ou Singapour, sont relativement épargnés. En juillet 2011, selon la Direction Générale de la Santé, notre pays possédait 1,4 milliard de masques. En mars 2020, le ministre de la santé, Olivier Véran, annonçait qu’elle n’en détenait plus que 110 millions.
Et pourtant, le 26 janvier dernier, face aux caméras, Agnès Buzyn, alors encore ministre des solidarités et de la santé, se voulait rassurante et déclarait: « Nous avons des dizaines de millions de masques en stock en cas d’épidémie, ce sont des choses qui sont d’ores et déjà programmées. Si un jour nous devions proposer à telle ou telle population ou personnes à risque de porter des masques, les autorités sanitaires distribueraient ces masques aux personnes qui en auront besoin. » Malheureusement, ça ne se passe tout à fait comme cela.
Les soignants hospitaliers, s’ils semblent aujourd’hui avoir enfin suffisamment de masques, sont démunis en blouses et surblouses. Les praticiens de ville, médecins, infirmières, pharmaciens sont dépourvus d’à peu près tout et doivent compter sur la solidarité ou bricoler des solutions de fortune. De la même façon, le gel hydroalcoolique ou les composants pour le préparer, arrivent au compte-gouttes dans les officines. Dans un grand et magnifique élan de solidarité, les Français se mobilisent dans l’urgence pour alimenter les professionnels de santé et pallier, il faut bien le dire, la déficience de l’Etat. Les fonds de tiroirs des entreprises, des écoles, des particuliers ont permis dans bien des cas d’apporter les protections nécessaires pour tenir quelques jours de plus, jusqu’à l’arrivée de nouveaux matériels. Des entreprises dont ce n’est pas la production habituelle se mettent à fabriquer, conditionner et distribuer, souvent de façon gratuite et bénévole, le gel tant attendu. Mais la meilleure volonté du monde ne compensera pas notre déficit en nombre de lits de réanimation. Il en existait 5000 en France au début de l’épidémie, 10 000 aujourd’hui et l’objectif est d’atteindre 14 000 alors que l’Allemagne en disposait de 25 000 au seuil de la crise. L’effort est vital mais n’est-il pas trop tardif? Et quid du personnel nécessaire pour assurer les soins autour de ces lits? Je passe sous silence les nombreuses professions non médicales qui sont en contact du public: caissières, commerçants, livreurs etc… qui ne sont pas davantage protégées.
L’Etat, une fois de plus n’est pas au rendez-vous de ses responsabilités. De toutes ses responsabilités. Comment a t-il pu faire preuve d’une telle imprévoyance, d’une telle impréparation? Ce constat n’engage pas particulièrement ce gouvernement car on ne voit pas disparaître du jour au lendemain des centaines de millions de masques et de la même façon, on ne les produit pas en un claquement de doigt. Idem pour les respirateurs. On ne peut nier que les ministres concernés sont sur le pont, qu’ils assument et font preuve de courage. Mais notre système est allé trop loin, a perdu l’ordre des priorités, à parfois inversé les valeurs et au fil des ans, toute tendance politique confondue, a sacrifié le fondamental. Nos fondamentaux sont la santé, l’éducation, la sécurité.
Face à des conditions de travail toujours plus exigeantes, face à la diminution du nombre de lits d’hospitalisation, face à la fermeture des hôpitaux de proximité, cela fait des années que les hospitaliers réclament davantage de moyens, pour eux-mêmes certes, mais aussi pour les patients. En vain ! Nous sommes tous, un jour ou un autre, les futurs usagers de l’hôpital public. En ville et en campagne, les médecins généralistes et spécialistes ont disparu du paysage. La France, si elle possède le meilleur régime de protection sociale au monde, est mal soignée alors même que nos professionnels de santé sont remarquablement formés et compétents. Notre grand et beau pays a sacrifié sur l’autel de la rigueur budgétaire toute une politique de prévention et d’anticipation. Que se passerait-il demain face à une catastrophe nucléaire du type de Fukushima? Sommes-nous rassurés par l’épisode récent de Lubrizol ? Cette crise nous obligera, je l’espère, à corriger les carences de notre système. Et, dans un avenir proche, celui de la refondation, il faudra redonner à notre organisation sanitaire les moyens d’exercer sa mission: protéger les Français.