Chapitre 8 – Les soutiens publics
On peut toujours critiquer, on peut considérer que ce n’est pas suffisant, que c’est trop lent ou trop compliqué, mais qui peut contester notre chance de vivre dans un pays aussi protecteur ? Nous sommes face à une crise économique vertigineuse dont nous n’évaluons pas encore tous les effets. Les conséquences seront probablement importantes en termes de cessations d’activité, de chômage et de diminution de la richesse nationale. Toutefois, chacun pourra constater que lors de cette première phase de la crise du coronavirus l’État aura joué son rôle d’amortisseur social et économique. Des dispositifs puissants ont été instaurés au profit des entreprises petites ou grandes. Là, comme dans la crise sanitaire où la France a fait le choix humaniste de considérer que toute personne avait exactement le même droit à être soignée, une forme d’universalité est visée.
Dans un premier temps, le 16 mars, le Président de la République a fait l’annonce d’un fond de solidarité de 1 500 € principalement pour les plus petites unités et d’un prêt garanti par l’État (PGE) de 300 milliards d’euros afin d’aider les entreprises, de toute taille et de toute forme juridique, à surmonter les difficultés engendrées par l’épidémie. Par ailleurs ont été prévus le report des charges sociales et fiscales, et enfin la prise en charge de l’activité partielle. Dans un second temps, le 14 avril, Bruno Le Maire déclarait que l’aide complémentaire, gérée par les régions, était portée de 2 000 à 5 000 €. Au total, il s’agira sans doute de plus de 110 milliards d’euros mobilisés pour faire face à cette crise.
Au-delà du constat d’une politique forte de soutien à l’économie nationale, ces annonces donnent lieu à des interrogations et inquiétudes.
Si, sur le principe, ces aides sont les bienvenues car indispensables au maintien de notre tissu économique et nécessaires pour ne pas transformer le chômage partiel en chômage économique, dans leur application ces dispositifs cristallisent des critiques. Des disparités selon les régions pour bénéficier des aides, les références au chiffre d’affaire de 2019, les banques qui ont des politiques de prêt différentes, des compensations jugées insuffisantes sur les fonds propres, des lenteurs administratives… ajoutent de l’inquiétude à une situation déjà très angoissante. L’État, maintenant que les grandes lignes sont tracées, doit se montrer plus précis et actionner les rouages locaux plus à même de résoudre les cas spécifiques qui se présentent.
Avant la pandémie, un débat existait déjà sur notre niveau d’endettement trop élevé, notamment au regard de la situation de nos voisins, et sur l’injustice que représentait la transmission de cette dette aux générations futures. Nous étions alors, il y a deux mois, à un niveau, jugé intenable par beaucoup d’économistes, de 100% du PIB. Aujourd’hui, les prévisions de la dette à l’issue de l’année 2020 sont de 115% du PIB. La question du remboursement se posera inéluctablement d’une façon plus accrue. Quels seront les leviers pour la réduire alors que nous n’en trouvions pas auparavant ? La diminution de la charge salariale de l’État (des fonctionnaires), qui était la marge de manœuvre principale, semble bien improbable après la révolte des gilets jaunes et l’épidémie du coronavirus. Comment réduire les effectifs des forces de l’ordre, de la justice, des administrations dans les territoires ou encore de la fonction publique hospitalière, après ces événements qui ont révélé de nombreuses carences ? Comment ne pas revaloriser les salaires des soignants ou des enseignants qui sont parmi les moins bien rétribués de l’Union européenne ? Comment, au regard du monde agressif qui nous entoure, ne pas rebâtir notre armée, laminée depuis une décennie par les coupes budgétaires ?
Aujourd’hui, beaucoup semblent d’accord pour sortir d’une période de capitalisme dérégulé, des principes de court terme et de low-cost, pour bâtir une société plus équitable, plus solidaire… plus humaine. Le Président de la République, dans un bel élan lyrique, citait le lundi 13 avril, l’article 1 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen : « Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune… Nous devons aujourd’hui reprendre le flambeau et donner toute sa force à ce principe. » C’est l’exact inverse des convictions qui l’ont porté au pouvoir et de la politique menée jusqu’alors. Tant mieux ! Mais après avoir levé l’épée de Damoclès qui plane sur les entreprises, il faudra répondre – dans quelques mois (ou années) – à la question de l’endettement et retrouver une souveraineté perdue dans de nombreux domaines vitaux. On voit bien aujourd’hui les limites de la mondialisation et de l’externalisation de la production. La France devra se reconstruire autour de nouveaux principes.
C’est lors de cette dernière partie du quinquennat que le gouvernement aura la lourde charge de tracer un horizon et de définir avec les Français la société que nous voulons. Je recommande au gouvernement d’adopter la magnifique devise du 12e régiment de cuirassiers d’Olivet: « Au danger, mon plaisir ».