Édito de la lettre du 11 juin 2020
En raison des dépenses de l’État pour contenir la grave crise sanitaire et économique que nous traversons, la question de la réduction des charges (et de l’augmentation des recettes) va bientôt se poser. Dans ma famille politique, la diminution drastique de la dépense publique, perçue comme celle des fonctionnaires, est une idée tellement partagée qu’elle en est devenue l’un de ses marqueurs forts. J’ai toujours été très circonspect à l’égard de ce principe. Je n’étais pas convaincu lorsque François Fillon en avait fait l’un des thèmes principaux de la campagne présidentielle, en promettant la réduction de 500 000 agents publics. Cela me paraissait illusoire. Pour autant, cette idée trouve assez facilement un écho tant la notion est ancrée depuis longtemps dans la conscience commune, et les fonctionnaires des boucs émissaires faciles pour expliquer une partie des maux de notre pays. Balzac, Courteline ou Clemenceau ont multiplié les bons mots sur ce sujet. Ce dernier n’écrivait-il pas : « L’administration est un lieu où les gens qui arrivent en retard croisent dans l’escalier ceux qui partent en avance. » Si c’est exact pour quelques-uns, c’est faux pour la grande majorité d’entre eux. Pour avoir présidé des collectivités, je récuse totalement cette caricature tenace.
Par ailleurs, lorsqu’on prend la peine de s’attarder sur les chiffres, on voit aisément que la réduction de cette dépense n’a rien d’évident. Tout d’abord, lorsqu’on évoque la dépense publique, on doit distinguer celle en nature et celle en espèces. On ne pense jamais à cette dernière, que composent toutes les allocations et pensions (les minima sociaux, les prestations familiales, les arrêts de travail et remboursements de soins, les allocations chômage, les retraites…), mais qui représente pourtant 60% du total. Les 40% restants concernent le traitement des fonctionnaires (salaires, primes…) ainsi que les moyens mis à leur disposition pour exercer leurs missions (locaux, matériels…). Ensuite, lorsqu’on étudie dans le détail cette deuxième partie, on constate que, sur l’effectif global de la fonction publique d’environ 5,5 millions de Français, près de 5 millions, soit 91% des personnels, travaillent dans les domaines de l’éducation, de la sécurité, de l’armée, de la justice, des collectivités territoriales ou de l’hôpital. Autant de secteurs où il sera difficile de réduire significativement le nombre d’agents. Les événements récents ont montré l’attachement de nos concitoyens au service public de proximité et le caractère indispensable de celui-ci, qui constitue un ciment de la Nation lorsque le pays traverse de graves crises.
Contrairement à une idée assez largement répandue, la France, parmi les pays de l’OCDE, n’est pas en tête des nations dépensières, puisque la Norvège, le Danemark, la Suède, la Finlande ou encore le Canada ont une charge assez nettement supérieure à la nôtre. Toutefois, les comparaisons sont à manier avec précaution car l’assiette n’est pas identique d’un pays à l’autre. Certains, que l’on érige en vertueux, ont fait le choix de privatiser des pans entiers de leur administration, ce qui induit des coûts additionnels pour les usagers.
S’il sera compliqué de réduire cette charge, il n’en demeure pas moins qu’il est nécessaire d’optimiser la dépense et de chercher une meilleure efficacité. On a vu récemment que le système hospitalier allemand semblait plus efficient, avec une dépense globale moindre et des professionnels mieux rémunérés que leurs homologues français. Face aux crises sociales et aux revendications catégorielles, la France, depuis des décennies, a fait le choix d’augmenter les effectifs de son administration au détriment de la rémunération de ses agents. On voit aujourd’hui les limites de ce système.
Autre constat partagé, la France se distingue de nombreux pays européens par un niveau de chômage chronique. C’est un mal national. Pour réduire le déficit public, ce qui est indispensable, sans dégrader les services, nos gouvernements doivent mener une politique de lutte beaucoup plus efficace contre le chômage. Le développement du tissu industriel et le retour à l’emploi des Français est une nécessité.
L’inactivité est par ailleurs un fléau social qui a des conséquences catastrophiques sur l’ambiance générale et la cohésion de notre pays. Les sentiments d’injustice et d’inégalité s’en nourrissent. Atteindre un niveau d’employabilité sur un marché dynamique proche de celui de l’Allemagne ou des Pays-Bas permettrait d’une part de faire rentrer des recettes sous la forme de charges sociales, patronales et salariales, d’impôt sur le revenu et de TVA, mais aussi réduirait la dépense sociale qui pèse lourdement sur les budgets. On a vu récemment, dans le cadre de la loi PACTE ou de la réforme de l’assurance chômage dans une moindre mesure, que les évolutions n’allaient pas suffisamment loin pour faciliter l’embauche d’un côté et lutter contre le chômage « de confort » de l’autre.
Remettre les Français au travail, donner davantage de souplesse aux entreprises, mieux adapter les formations aux besoins, faciliter la mobilité, rétablir le travail comme une valeur essentielle sont des enjeux majeurs pour retrouver demain les marges de manœuvre qui nous manquent aujourd’hui. C’est par ces transformations profondes que la France retrouvera sa prospérité.