Édito de la lettre du 18 janvier 2022
Le fiasco des tests.
Le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, traverse une période difficile. Au cœur des attaques et des critiques contre sa gestion de la crise sanitaire, il lui est reproché le rythme effréné des protocoles successifs, induits par la présence des cas positifs et des cas contacts dans les établissements scolaires. Il est vrai que la semaine passée il était quasiment impossible de mettre en application les injonctions du ministre tant celles-ci étaient précipitées et changeantes. Imposer trois tests (antigéniques et autotests) en l’espace de quatre jours sans s’être assuré de la disponibilité de ceux-ci dans les pharmacies et des possibilités des laboratoires relève de l’improvisation ; ce qui est pour le moins troublant alors que nous allons bientôt entrer dans la troisième année de l’épidémie. La grève, très suivie, des enseignants, souvent soutenue par les parents mais aussi par les élus, a été la conséquence de cet affolement réglementaire, mais trouve son origine dans une insatisfaction plus globale et sans doute plus préoccupante.
D’une année sur l’autre, les études internationales démontrent la baisse inquiétante du niveau scolaire des élèves français, et notamment à la fin du cycle primaire où les difficultés et inégalités s’installent durablement. La France se situe ainsi au 22e rang des 24 pays européens participant à la dernière édition du PIRLS*, qui s’intéresse à la lecture et à la compréhension de l’écrit des élèves de CM1. Quant à la maîtrise des mathématiques et des sciences par les élèves de même niveau, une récente étude** nous situe à l’ultime place des 24 pays européens participants. Ces résultats sont la répercussion d’une double crise qui frappe l’école depuis de longues années.
Une crise de la transmission d’abord
L’école est aujourd’hui le produit du pédagogisme, avec lequel Jean-Michel Blanquer n’a pas réellement rompu. Malgré ses discours sur l’importance de la maîtrise des savoirs, il n’a pas supprimé les enseignements pratiques interdisciplinaires contenus dans la réforme Vallaud-Belkacem de 2015, qui privilégient la construction de compétences sur l’acquisition de connaissances. À ce titre, la réforme du baccalauréat l’a vidé un peu plus de son contenu en augmentant le poids du contrôle continu et en permettant aux élèves de personnaliser leur programme par le choix de spécialités dans des disciplines qui les attirent. Ainsi, en détournant de nombreux élèves de l’enseignement, parfois plus exigeant, des sciences, cette réforme a mené à une spécialisation plus forte et plus précoce au lycée, qui menace dès lors de rendre plus aléatoires la maîtrise des fondamentaux. Entre 2019 et 2021, une baisse respective de 18 % et de 6 % du nombre d’heures dispensées par les professeurs de mathématiques et ceux de lettres aux élèves de première et terminale a été enregistrée. Si les choix de spécialisation des élèves sont en partie responsables de cette chute, elle résulte d’abord de la disparition des mathématiques du tronc commun d’enseignement.
Une crise des vocations ensuite
Une profession ne peut prétendre être attractive lorsque ses plus jeunes éléments sont mal préparés, peu rémunérés, sans réelles perspectives de carrière et envoyés au « casse-pipe » dans les zones prioritaires. Autant de paramètres qui n’incitent pas à épouser un métier pourtant si fort de sens. À la session 2021, 238 postes n’ont ainsi pas trouvé preneurs au concours externe du Capes, notamment en allemand, lettres classiques et mathématiques. Au même moment, 1 648 enseignants rompaient leur contrat. Trois fois plus qu’en 2011. Les deux revalorisations salariales récentes, dont l’une n’a concerné que 31 % des personnels, n’ont pas permis de combler l’écart avec le salaire moyen dans l’OCDE en 2020. Chez nos voisins d’Outre-Rhin par exemple, il est d’environ 60 % supérieur à celui des enseignants français.
On pourrait aussi évoquer le recul de l’autorité, l’abandon du redoublement, les réformes contradictoires qui se succèdent, la démission de nombreuses familles dans l’éducation de leurs enfants, la place des parents dans l’école, … pour expliquer le profond malaise qui touche l’Éducation nationale et le déclin des évaluations du niveau de nos jeunes.
Les collectivités locales – communes, départements et régions –, par les lois de décentralisation passées, se sont vu confier des compétences qui ont déchargé l’État d’une partie du fardeau financier. Elles ont mobilisé des moyens considérables pour offrir de meilleures conditions aux enfants et aux enseignants, conscientes que l’éducation décline aussi son importance essentielle à l’échelle des territoires, pour permettre la vitalité démographique, culturelle et économique. Le futur gouvernement devra faire en sorte que l’État se hisse au niveau des collectivités dans les domaines qui le concernent. Je crains que ce thème ne soit pas parmi les premiers mis en avant dans les mois qui viennent. C’est pourtant un enjeu majeur. Renoncer à l’éducation, ce serait renoncer à l’avenir de notre pays. C’est un lieu commun de l’affirmer, mais c’est aussi une réalité dont il faudrait enfin se préoccuper. La connaissance est la garante de l’universalisme républicain, par le niveau d’éducation de ses citoyens, éclairés et responsables. C’est toute la tradition française des Lumières qui le fonde, comme Montesquieu le rappelle dans De l’esprit des lois : « C’est dans le gouvernement républicain que l’on a besoin de toute la puissance de l’éducation. […] Tout dépend donc d’établir dans la république cet amour : et c’est à l’inspirer que l’éducation doit être attentive. »
*Etude internationale consacrée aux mathématiques et aux sciences: TIMMS
**Programme international de recherche en lecture scolaire: PIRLS