Edito de la lettre du 18 juin 2020
La crise de la Covid 19 a tristement mis en exergue les carences de notre industrie et notre incapacité à produire des biens de consommation (et de protection), pourtant indispensables à la vie quotidienne.
Cette désindustrialisation n’a jamais jusqu’alors trouvé d’écho, ni n’a été considérée politiquement comme un enjeu majeur. Je n’ai pas souvenir que ce sujet ait été au cœur d’une campagne électorale présidentielle. Pourtant, l’évolution du tissu industriel est fondamentale, car elle touche non seulement à notre souveraineté mais aussi à la problématique du chômage, devenu structurel. La substitution des emplois ouvriers par ceux du domaine des services, perçus comme plus valorisants, moins pénibles sans doute, a conduit progressivement à la quasi-disparition de la classe ouvrière et, mais c’est un autre sujet, du creuset qui avait permis d’intégrer, durant tout le vingtième siècle, de nombreuses générations de travailleurs immigrés.
Ainsi, selon le FMI, entre 1990 et 2010, soit en une génération, la part de l’industrie française dans le PIB est passée de 35 à moins de 20 % et les emplois de ce secteur de 27 à 23 %. Dans le même temps, environ 30 000 entreprises disparaissaient, entraînant dans cette hécatombe près de 600 000 salariés. Avant la crise sanitaire que nous venons de subir et avant celle économique qui s’annonce, la part de l’industrie ne représentait déjà plus que 12,5 % du PIB. Des pans entiers, parfois considérés comme des fleurons du savoir-faire français, ont été engouffrés dans ce tsunami économique.
La mondialisation a rebattu toutes les cartes et l’industrie a muté, tant de façon technologique que géographique. Les consommateurs occidentaux eux-mêmes ont profondément modifié leurs habitudes pendant cette période. Tous les biens de consommation du domaine des loisirs et des technologies du quotidien sont devenus des priorités. Il a fallu acheter toujours moins cher, notamment les denrées alimentaires, les textiles et les marchandises courantes, afin de partir en vacances à l’étranger et se procurer le dernier iPhone. Les coûts de production, les dispositions sociales du travail plus souples voire inexistantes ont transféré la production vers l’Asie. Mais la loi du marché international, la concurrence effrénée poursuivent leur mondialisation. Et si le coût mensuel d’un travailleurs chinois est environ cinq fois inférieur à celui de son équivalent français, il est dix fois supérieur à celui d’un ouvrier éthiopien. Le monde évolue et évoluera encore.
Le Sénat, en 2018, dans le cadre d’une mission d’information sur les pénuries de médicaments, dont j’étais membre, avait alerté à propos du risque majeur que constitue l’externalisation de la production pharmaceutique, qu’elle concerne des molécules essentielles ou communément utilisées. Ainsi plus de 80 % de celles-ci proviennent des chaînes de fabrication chinoises ou indiennes.
Ce sujet essentiel de la désindustrialisation représente la quadrature du cercle pour nos gouvernants. Comment redonner un souffle à notre industrie et réintroduire les principales productions avec de telles disparités ? Comment faire en sorte que le « made in France » soit accessible à nos concitoyens ? C’est tout un équilibre, où chacun est partie prenante, qu’il faut revoir. À l’échelle de la France, mais en lien avec les membres de la Communauté européenne, cela passera sans doute par une moindre ouverture aux produits fabriqués à faible valeur financière mais à haut coût carbone. Il doit exister une priorité fiscale aux produits que nous créons et fabriquons au sein de l’espace européen. Il est devenu économiquement aberrant, écologiquement insoutenable et humainement critiquable de ne mettre aucune barrière à des marchandises provenant de l’autre bout du monde, produites dans des conditions qui ne ressemblent en rien à celles imposées à nos entreprises. Il faut sans doute également que chacun d’entre nous prenne conscience de la nécessité de consommer d’une autre façon, plus vertueuse et plus frugale. En quelque sorte, rompre avec la société de consommation qui prospère et édicte ses règles depuis un demi siècle seulement.
Nous ne fabriquerons plus des t-shirts en France ; mais, à l’instar de notre voisin d’outre-Rhin, une production spécialisée, issue de filières de recherche européennes, à haute valeur ajoutée doit pouvoir renaître sur notre territoire. Nous avons de nombreux atouts pour cela. Enfin, les secteurs tels ceux du médicament, de l’alimentation, du numérique ou de la défense doivent être soutenus afin que demain nous ne soyons pas soumis à une nouvelle crise et dépendants du bon (ou pas) vouloir de pays plus ou moins amis. Retrouver notre souveraineté et une forme d’indépendance, sans que cela soit pour autant un repli, doit enfin être une priorité.