Édito de la lettre du 1er juin 2022
Un gouvernement pour faire quoi ?
Présenté aux Français après un délai étrangement long, le gouvernement que vient de constituer la Première ministre, Élisabeth Borne, peine à convaincre de sa cohérence. À travers lui, on cherche en vain le projet d’ensemble, le cap pour la France que s’est fixé le président de la République. Mais existe-t-il ? Le manque de constance de la ligne politique d’un mandat présidentiel à l’autre interroge. L’association de ministres aux origines politiques et aux idées si disparates inquiète. En l’absence de convictions communes, d’objectifs définis, d’une ambition claire, il est à craindre de voir à l’œuvre, une nouvelle fois, une boussole plus tactique qu’idéologique. Par effet de siphonnage, le barycentre de ce gouvernement est inversé par rapport au précédent. Notamment du fait de la nomination de la Première ministre Élisabeth Borne et aussi d’un certain nombre de personnalités dont la plus emblématique à l’Éducation nationale, Pap Ndiaye. La France est dirigée aujourd’hui plus à gauche qu’à droite. La raison en est sans doute les sondages qui désignent Jean-Luc Mélenchon et son improbable coalition de partis politiques comme principaux adversaires de la majorité présidentielle pour les législatives prochaines. Ainsi va la politique de la France au gré des échéances électorales.
Dans ce contexte, le débauchage de Damien Abad a quelque chose de pitoyable. L’est-il davantage pour lui ou bien pour ceux qui l’ont sollicité ? Sans doute est-ce assez comparable dans la médiocrité. Damien Abad qui déclarait en février dernier, alors qu’Éric Woerth, président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, franchissait le Rubicon : « Je regrette qu’à l’infidélité s’ajoute l’inélégance. … Il y a toujours un peu d’opportunisme politique et c’est de la tambouille politicienne. Ça éloigne toujours plus les Français de la politique. » On voit qu’il est plus facile d’être lucide pour les autres que pour soi-même.
Les Français que je croise sur le territoire départemental me disent tous la même chose. Ils sont dégoûtés par l’action politique, dégoûtés des arrangements, dégoûtés des hommes et des femmes politiques. Il y a quelque chose d’un peu excessif dans ces jugements sans appel, mais il est toutefois clair que l’attitude et la façon d’agir, le fond et la forme, ne sont pas, pour nos concitoyens, à la hauteur des enjeux.
Comment expliquer que le ministre du Commerce extérieur demeure en poste alors que nous avons pulvérisé tous les records de déficit à plus de cent milliards d’euros ? Comment expliquer la nomination d’un ministre de l’Éducation nationale, intellectuel perméable aux idées woke, au décolonialisme ou encore à l’indigénisme, dont les prises de parole sur la période coloniale paraissent à l’opposé du précédent ? Comment expliquer le maintien du garde des Sceaux qui a réussi à se mettre à dos à peu près toutes les professions du droit ? Comment expliquer les arrangements avec les casseroles de quelques ministres ? Et surtout, alors qu’il existe de nombreux sujets communs et un travail conjoint à réaliser entre ministères, comment certains d’entre eux et leurs administrations vont-ils faire pour travailler ensemble ?
On aurait aimé avoir une « équipe France » cohérente, compétente et prête à porter enfin les transformations indispensables à la marche en avant de notre pays. Pratiquement toutes les grandes politiques publiques sont à réformer en profondeur. La France, dans de nombreux domaines, vit sur des acquis des générations précédentes. L’école de l’égalité des chances, l’ascenseur social, le meilleur système de santé du monde, l’État providence… : autant de formules sous forme d’incantations, qui ne reflètent plus la situation française de 2022.
Le président de la République, élu dans les conditions que nous connaissons, restera comme celui qui aura été consacré par un deuxième mandat. Alors qu’il ne peut être immédiatement suivi d’un troisième et que les extrêmes se rapprochent, à chaque élection, davantage du pouvoir, sa responsabilité est immense. Lors du quinquennat précédent, il avait toutes les cartes en main pour réformer notre pays. Avec sa très large majorité, il a piloté à vue et, à grands coups de communication, s’est contenté de mesures superficielles. Or, compte tenu du contexte international, avec les conséquences économiques et sociales qui nous attendent, il est bien tard pour agir et le premier acte de ce deuxième mandat ne rassure pas. Après cinq années pour presque rien, c’est maintenant ou jamais que la France doit rétablir sa force et sa cohésion pour maîtriser son destin. De façon républicaine je forme le vœu, en ce début de deuxième acte, que le Président ait la dimension qui lui permette d’entrer réellement dans l’histoire. Celle d’un chef qui transcende sa famille politique pour rassembler, reconstruire et permettre à la France de renouer avec le succès. Très vite nous saurons ce qu’il en est.