Édito de la lettre du 4 juillet 2022
Les électeurs ont tranché et le peuple souverain n’a pas souhaité donner la majorité législative absolue au président jupitérien. Par l’absence de campagnes politiques actives, le moins que l’on puisse dire est que la démocratie a été négligée durant ces trois derniers mois. Les Français s’en sont étonnés et ont sanctionné par l’abstention et par le vote qui a conduit à une composition inédite au Palais Bourbon.
Si la coalition « Ensemble » arrive en tête, l’échec est malgré tout cuisant. Rappelons que le président sortant, Richard Ferrand, ainsi que ceux des deux groupes LREM et MoDem, Christophe Castaner et Patrick Mignola, qui étaient candidats, ont été battus. L’Assemblée nationale, formée de 5 composantes distinctes qui vont interagir en s’associant ou s’opposant, selon les circonstances, présente une configuration qui ne s’était jamais produite depuis que les élections législatives font suite à la présidentielle. La composent, par ordre décroissant du nombre de sièges, une coalition centrale « Ensemble » de 250 députés MoDem, Renaissance et Horizons, puis deux blocs extrêmes de force similaire, 89 députés pour le RN et 84 pour LFI, et enfin les partis dits « traditionnels » ou « de gouvernement » d’importance également comparable, 74 députés pour LR, l’UDI, et les DVD et 65 pour le PS, Europe Écologie, le PC.
Inutile d’être un grand politologue pour comprendre que, la majorité nécessitant 289 voix, il faudra des forces d’appoint à « Ensemble » pour que les textes les plus politiques puissent être adoptés. Dans la plupart de ceux-ci, seuls les députés de droite et de gauche, hors les extrêmes, pourront apporter au cas par cas leurs voix pour constituer des majorités. Cela signifie aussi que ces mêmes partis ont la possibilité de faire obstruction et d’entraver le travail parlementaire. Il est difficile de dire aujourd’hui quels seront, entre blocage et coalition, les décisions et le choix stratégique des uns et des autres. Cela dépendra certes des convictions et des intérêts politiques de chacun, mais aussi et peut-être surtout de la volonté de dialogue et de compromis du gouvernement. Le temps du « nouveau monde » et de l’horripilant mépris affiché par certains ministres LREM vis-à-vis des propositions qui n’émanaient pas des leurs est sans doute révolu. Personne ne s’en plaindra.
Cependant, l’édifice est fragile et la stabilité l’est aussi. Ainsi, le gouvernement d’abord mais aussi chaque groupe, et parmi ceux-ci chaque député, se retrouveront face à leurs responsabilités, car la paralysie de notre pays aurait des conséquences désastreuses pour nombre de nos concitoyens déjà en situation difficile. Malheureusement, les manœuvres politiciennes ont déjà commencé et nous éloignent volontairement des priorités.
À titre d’exemple, on voit depuis hier, après l’élection d’Éric Coquerel à la tête de la Commission des Finances, une opération d’intoxication menée par le RN se dérouler avec l’assentiment tacite de la majorité présidentielle. Cette dernière, qui n’a pas participé au vote, a délibérément choisi d’offrir cette responsabilité éminente aux troupes de Jean-Luc Mélenchon. Par son opposition caricaturale et fanatique, le nouveau président de la commission, auparavant présidée par Éric Woerth, renforce la position que souhaite adopter Emmanuel Macron de « seul rempart face aux extrêmes ». S’il avait réellement souhaité empêcher Éric Coquerel d’accéder à ce poste, le président Macron pouvait demander à ses députés de barrer la route à la candidature radicale présentée par LFI. Nous en avons maintenant l’habitude, la tactique d’Emmanuel Macron est d’une ambiguïté cynique, car elle conduit toujours plus à la radicalité du clivage droite-gauche.
Lors de cette législature, dont on peut se demander si elle durera bien cinq années, et dans ce contexte instable, le travail du Sénat aura toute son importance et la chambre haute jouera un rôle plus décisif encore que pendant la mandature précédente. D’une part parce que la culture du consensus et la pratique de la mesure sont des marqueurs de l’activité du Sénat. Contre-pouvoir institutionnel, il sera en première ligne, raisonnable et réfléchi, face à une Assemblée nationale tumultueuse. Ensuite parce que le Sénat ne sera pas dans une logique de blocage des institutions, et la majorité, tout en restant intransigeante sur ses convictions, travaillera pour faire avancer et proposer les réformes essentielles qui sont urgentes pour notre pays. Enfin, parce que la répartition des voix dans les commissions mixtes paritaires sera plus favorable et devrait permettre de mieux prendre en compte les apports sénatoriaux.
Du travail, du sérieux et des convictions, c’est ce que demandent les Français, et je suis persuadé que ce sera la ligne de conduite au Palais du Luxembourg dans les mois qui viennent. Les convictions politiques et les valeurs forment un tout, et c’est une curieuse conception d’imaginer des majorités une fois à gauche, une fois à droite. Cette godille politique sans ligne directrice claire ne peut résoudre les problèmes des Français et guider notre pays vers le progrès. Le Sénat, tranquillement mais sûrement, solide, se placera, lui, dans une opposition d’intérêt général, en attendant des jours meilleurs…