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Édito de la lettre électronique du 20 décembre 2024

La France est dotée depuis le 13 décembre d’un nouveau Premier ministre.

Sur la forme, on ne peut pas dire que la désignation du chef du gouvernement soit de nature à rassurer. Outre le fait qu’Emmanuel Macron a nommé son quatrième Premier ministre depuis le début de l’année (il faut remonter à 1926 pour retrouver situation équivalente), les atermoiements de la démarche qui ont conduit finalement François Bayrou à Matignon interpellent. En l’espace d’une heure, ce vendredi 13 décembre, on est passé de la mésentente à l’entente, du renvoi à la nomination. Cette tragi-comédie donne une impression d’improvisation maladroite dont le pouvoir n’avait certes pas besoin, ni les Français, qui se lassent… En d’autres temps, on aurait parlé de chienlit. Mais comme on le sait, comparaison n’est pas raison.

Sur le fond, que peut-on espérer de l’ancien haut-commissaire au plan ? Qui peut dire quelle a été l’action de ce dernier durant les quatre années, trois mois et onze jours où il a exercé cette fonction ? Président à titre bénévole d’« une instance chargée d’éclairer les choix collectifs que la Nation doit prendre au regard des grands enjeux contemporains et de sensibiliser lopinion publique à ces sujets […] visant à appréhender, selon une approche globale et transversale, les défis présents et futurs qui se posent à notre pays », dotée d’un budget de 2 millions d’euros pour 14 salariés à équivalent temps plein dont l’activité a consisté à rédiger 18 notes « stratégiques », François Bayrou n’a pas montré à ce poste quelque puissante stratégie pour affronter lesdits défis. En outre, cette « instance » incarne l’exemple même de ces trop nombreux « machins » qu’il serait judicieux de supprimer, au titre des indispensables économies. « Machin » aussi par la définition qui en est donnée, jargonnante et creuse, à l’image de son action. George Orwell écrivait dès 1946 que « la langue doit son déclin à des causes politiques et économiques » et que « penser clairement est un premier pas indispensable vers la régénération politique ». Sans doute ce conseil serait-il à suivre par l’ensemble de la classe politique et de toute urgence par le Premier ministre, celui-ci ou un autre, au grand bénéfice de l’action.

Cette action dont l’agence de notation Moody’s vient de pointer l’absence en abaissant la note souveraine de la France, car, selon son analyse, « les finances publiques du pays seront considérablement affaiblies au cours des prochaines années, en raison d’une fragmentation politique susceptible d’empêcher une consolidation budgétaire significative ». Passe encore qu’une note soit revue à la baisse, il faut en plus subir la défiance internationale publique… Toute honte bue, et dans l’intérêt général, il convient d’espérer et soutenir, autant que cela soit possible, le projet gouvernemental (dès lors qu’un projet et qu’un gouvernement émergeront). Pourtant, avec une Assemblée nationale aux équilibres instables, aux débats souvent incendiaires, aux alliances imprévisibles, et parce que les lignes rouges des uns sont les priorités des autres, il apparaît illusoire d’envisager une forme d’union nationale.

François Bayrou devra faire preuve d’une grande habileté pour trouver le chemin des réformes sans heurter. S’appuyant sur un groupe minimaliste, pourra-t-il dépasser le socle commun pour l’élargir vers le PS et les Écologistes, et par là même faire imploser le Nouveau Front Populaire ? La droite LR est-elle prête à jouer le jeu de la coalition ? Sous certaines conditions sans doute. Mais on sait que les totems de la droite sont des repoussoirs à gauche. Et vice versa.

La loi spéciale, discutée cette semaine au parlement, a été adoptée à l’unanimité et sera promulguée avant le 31 décembre. Son rôle est de donner à l’exécutif la possibilité notamment de verser les salaires des fonctionnaires et d’emprunter sur les marchés financiers. Elle représente le pas en arrière alors que nous sommes au bord du précipice. Au moins servira-t-elle à faire contre-poids aux erreurs et maladresses répétées, déjà, de ce tout début de mandat du Premier ministre, et souhaitons qu’elle inspire la suite des débats. Ensuite, il faudra refaire ce qui a été défait et construire les budgets, dont il est difficile d’imaginer l’adoption, au premier trimestre 2025, sans le recours au 49-3. Dans tous les sujets qui seront soumis aux parlementaires, LR et PS, qui ont une représentation comparable à l’Assemblée, seront alternativement les groupes pivots. Mais la droite possède l’avantage d’être majoritaire au Sénat, ce qui la favorise dans les commissions mixtes paritaires chargées de départager les divergences des deux chambres.

Si le péché originel est la dissolution de l’Assemblée nationale en juin 2024, le vote de la motion de censure le 4 décembre dernier est vraiment l’acte politique qui a aggravé l’instabilité de la France, fragilisé notre économie, nos instances politiques et l’équilibre social tout entiers.

Il sera extrêmement difficile de dépasser cette période sans une nouvelle série d’élections. Les Républicains, derrière Michel Barnier et Bruno Retailleau, participeront à ce gouvernement dès lors que des garanties seront apportées sur les politiques de sécurité, d’immigration et sur le retour à une diminution des dépenses de l’État, ce qui exclut un rétropédalage sur la réforme des retraites.

Dans les circonstances actuelles, on peut dire, comme Claude Guéant en son temps : « Je veux bien qu’on fasse un remaniement, mais on manque de stock. » Le Premier ministre va devoir s’atteler à obtenir des garanties de non-recours à la censure et constituer un gouvernement avec des ministres que parfois tout oppose. Et je ne doute pas que François Bayrou soit adepte de la formule de Léon Gambetta : « Pour gouverner les Français, il faut des paroles fortes et des actes modérés. » Très, très modérés !

 

Hugues Saury

Sénateur du Loiret, le 20 décembre 2024