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Édito de la lettre électronique du 20 janvier 2025

Il fallait s’y attendre, la déclaration de politique générale de François Bayrou, mardi à l’Assemblée nationale, puis celle dite « du gouvernement », mercredi au Sénat, ont été brouillonnes, insipides et n’ont pas fixé le cap dont la France a besoin. On ne peut qu’approuver les volontés exprimées sur la dette, sur l’éducation et globalement sur la plupart des sujets évoqués. Mais concrètement, que fait-on pour redresser la barre ? Quels sont les objectifs et le calendrier ? Dans cette tradition républicaine où le nouveau Premier ministre engage la responsabilité de son gouvernement, l’esprit doit être la sincérité et la détermination qui inspirent la confiance, et l’objet, des mesures majeures que le gouvernement s’engage à adopter. C’est ce qui a fait cruellement défaut dans les interventions en tribune du chef du gouvernement lors de cette semaine décisive.

Il n’est point nécessaire de s’élever pour éprouver le vertige car, en réalité, l’exercice est celui d’un équilibriste : aller dans le sens de la gauche, mais pas trop afin de ne pas braquer la droite ; aller dans le sens de la droite sans heurter la gauche ; donner des garanties au RN, notamment sur le scrutin à la proportionnelle, pour passer les deux étapes de la déclaration puis du budget.

Pauvre France ! peut-on se lamenter, car de tout ceci il ne résultera que de l’eau tiède, des demi-mesures qui ne nous permettront pas de retrouver l’allant nécessaire. Quant à la proportionnelle, elle avait été instaurée en 1986 par François Mitterrand pour faire monter le Front national de Jean-Marie Le Pen au détriment de la droite, puis abandonnée en 1988 parce que incapable de fournir des majorités claires. Elle produira exactement les mêmes effets. Elle systématisera l’instabilité alors que, selon les premiers mots de François Bayrou au Palais-Bourbon, la France a besoin de retrouver de la stabilité. Il est vrai que Monsieur Bayrou n’est pas à un paradoxe près.

Toutefois, compte tenu de l’actuelle fragilité politique, on ne peut tirer sur l’ambulance et il faut reconnaître que l’affirmation de réformes énergiques aurait conduit à une nouvelle motion de censure et plongé le pays dans une crise plus grave encore. Or, nous avons besoin d’un budget. Mieux vaut un budget perfectible que pas de budget du tout.

S’il s’agit de corriger des impensés de la réforme de septembre 2023 sur les retraites, je ne suis pas en désaccord avec la réouverture du dossier. Depuis sa promulgation, des améliorations possibles ont été pointées sur la pénibilité, l’emploi des seniors ou la carrière des femmes notamment. Mais notre démocratie est-elle suffisamment mature pour ouvrir un débat aussi sensible sans que certains cherchent à renverser la table ? J’en doute. On l’a dit souvent, la réforme des retraites est la mère de toutes les autres tant l’enjeu social et financier est prégnant. Cela a d’ailleurs été très bien rappelé mardi. La moitié de l’endettement accumulé lors des dix dernières années est la conséquence du déficit du régime des retraites par répartition. Il représente la somme astronomique de 500 milliards d’euros. Définie comme un problème d’abord moral, par la transmission aux générations futures et la diminution des capacités de financements qui en résultera, la dette est corrélée de façon évidente à l’incidence budgétaire des retraites et à la réforme de l’État.

Mais c’est un autre catalogue de bonnes intentions que dresse la réforme annoncée de l’État. Toujours promise et jamais réalisée, la stabilité politique ne doit-elle pas être le préalable à toute tentative d’évolution ? En cela, l’expression de la nécessaire réconciliation des Français avec le pouvoir politique est une vérité. La tâche sera ardue, car il s’agit de simplifier, de rendre du pouvoir au terrain (aux collectivités locales), de déconcentrer les services de l’État et enfin de procéder à une sélection rigoureuse dans les innombrables agences qui œuvrent plus ou moins efficacement pour le compte de l’État. Il y en aurait plus de mille, bien ou peu contrôlées, souvent en doublon et la plupart en alourdissant les procédures. Je ne conteste pas que plusieurs d’entre elles peuvent être utiles et réaliser un travail remarquable, mais elles sont productrices de normes et de réglementations, détentrices d’un pouvoir dont parfois elles abusent. D’autres, nombreuses, constituent un frein à l’inventivité et au développement. Faire le tri avec pour objectif de réduire la charge budgétaire, de lever des entraves et de libérer les énergies demeure un Everest administratif à gravir.

En réalité, il ne s’agit pas tant d’une montagne, mais d’une chaîne, d’une cordillère de complexités, dossier après dossier, auxquelles le Premier ministre et son gouvernement vont devoir s’atteler. François Bayrou en aura-t-il la possibilité ou même seulement la volonté ? Il lui faudra beaucoup de ténacité et de pragmatisme. Qualités dont notre parleur n’a pas toujours fait preuve. Tels que le contemple Le voyageur au-dessus de la mer de nuages dans le tableau de Caspard David Friedrich, chef-d’œuvre du romantisme allemand du XIXe siècle, l’horizon est lointain et le voyage bien incertain.

 

Hugues Saury

Olivet, le 19 janvier 2025