Édito petite lettre du 24 novembre 2020
Depuis quelques jours, le vaccin anti-Covid 19 revient sur le devant de la scène médiatique avec l’annonce des premiers résultats des essais de stade III, dernière phase avant l’homologation, menés à grande échelle par différents groupes pharmaceutiques mondiaux. Il semble que tout se soit accéléré pour que les premières vaccinations, supposées improbables avant dix-huit mois, voire deux ans au début de l’épidémie, puissent être effectuées dès la fin de l’année 2020. Et c’est une bonne nouvelle, car, actuellement, nous comptons près de 700 000 nouvelles contaminations chaque jour dans le monde.
Le laboratoire américain Pfizer, troisième groupe mondial, associé à la société allemande de biotechnologie BioNTech, a pris de court ses concurrents en annonçant un vaccin à ARN Messager – une innovation – efficace à 95%, disponible prochainement. Très vite, un autre laboratoire américain, Moderna, s’est déclaré être au même stade du processus, avec une technologie semblable.
Jamais autorisée pour un usage en santé humaine, la technique de l’ARN Messager consiste à envoyer un message à l’organisme sous la forme d’un morceau d’ADN (séquence synthétisée à partir du coronavirus qui va servir de matrice). Son but est d’inciter l’organisme à fabriquer lui-même une fraction inactive du virus, puis les anticorps pour lutter contre celui-ci. L’avantage du procédé industriel est d’être beaucoup plus rapide dans la phase de conception que celui des vaccins classiques à virus atténué, tels ceux contre la fièvre jaune ou la rougeole, qui nécessitent de répliquer de grandes quantités de virus en laboratoire. Pour autant, les questions de l’innocuité et de la durée de la protection se posent. Si, sur ce dernier point, aucune réponse catégorique n’est apportée faute de recul, les scientifiques se veulent rassurants sur l’absence de danger d’une telle technique. L’ARN Messager ne touchant pas au noyau de la cellule humaine où se situe notre patrimoine génétique (ADN), le risque d’interaction n’existe(rait) pas. Toutefois, des questions demeurent quant à la conservation du vaccin qui nécessite une température de -70° pour l’un et de -20° pour l’autre.
D’autres vaccins, russes ou chinois notamment, vont rapidement voir le jour, puisqu’on considère que plus d’une trentaine sont en développement dont onze ont fait l’objet d’essais de phase III.
Avec une approche plus classique, le laboratoire français Sanofi, 7e mondial, n’a pas adopté la même stratégie que ses principaux rivaux et a manifestement pris du retard dans la compétition. Car il s’agit bien d’une course effrénée pour protéger les vies, mais aussi pour empocher le plus incroyable jackpot de l’histoire scientifique. Les lièvres américains ou chinois ont de grandes chances de gagner, mais la tortue française peut, au bilan, coiffer sur le poteau ses concurrents. Un délai de conception plus long du vaccin français représente un handicap certain, puisqu’il ne devrait être disponible qu’en juin 2021. Mais ses atouts ne sont pas neutres : un prix plus faible, une capacité de production très importante et surtout des conditions de conservation compatibles avec les réfrigérateurs des réseaux de distribution classique.
Là où le monde entier est dans l’attente d’un vaccin, en France, pays de Louis Pasteur, demeure encore une certaine réserve tant la controverse sur la vaccination s’est intensifiée depuis quelques années. C’est oublier l’éradication, grâce à des campagnes mondiales, de fléaux tels que la poliomyélite ou la variole, responsables de dizaine de millions de morts.
Le pilotage chaotique de la crise sanitaire, concernant notamment les masques, les tests, les conditions du confinement ou l’utilité de certaines molécules, n’a fait que renforcer cette méfiance vis-à-vis de la parole gouvernementale appuyée sur des données scientifiques. Enfin, le délai raccourci pour la fabrication du vaccin peut légitimement interroger.
Pour autant, si se vacciner c’est se protéger soi-même, c’est aussi protéger les autres. Ne pas le faire, n’en déplaise aux détracteurs, c’est participer à l’évolution de l’épidémie. Il sera absolument nécessaire que les données scientifiques concernant le vaccin fassent consensus et que la communication soit limpide. Le message doit être clair pour être crédible. C’est la condition de la confiance pour parvenir à une couverture vaccinale étendue.
Restera alors la question de l’obligation. Lorsque celle-ci se posera, dans quelques mois, le bilan humain de cette pandémie se comptera en millions de morts (1,4 million entre mars et novembre 2020) et le bilan économique sera celui de la pire crise survenue depuis celle de 1929, hors Seconde Guerre mondiale. Sachant que tout traitement est une balance entre un bénéfice et un risque, sur un sujet aussi sensible et capital pour notre avenir, le président de la République devra prendre la bonne décision. Celle qui permettra, tout en préservant l’unité nationale, de sortir enfin de ce terrible épisode.